Clos chez !

A deux pas du canal petit gabarit, mais grand par sa beauté environnementale, il n’est qu’un silence à l’aurore, celui qui vous inspire. Sur une berge comme pour donner plus de saveur à ce milieu aquatique et afin de régaler la populace piscicole, des saules pleureurs. Ils viennent nonchalamment y plonger les extrémités de leurs branches pour y verser une dernière larme. Ou alors ! Pour partager cette eau, certes peu claire, ombragée par les essences riveraines où maintes sortes de poissons se plaisent à remonter à la surface. Il faut admirer cette ébullition pittoresque sur ce plan d’eau qui semble dormir.

Coté chenal, là, où quelques décennies en arrière des chevaux tiraient les péniches, quelques pêcheurs s’affairent à déployer leur gaule. Le flottement des bouchons multicolores apporte une touche à ce Manet. Déjà apparait au bout de ce chemin des cyclotouristes. L’intimité de ce lieu est rompue, je me rapproche de l’écluse dont je perçois encore le bouillonnement. Cet infrastructure différentie les niveaux d’eau avec une force inouie.

J’imagine, derrière ces énormes portes couvertes de rivets, la masse d’eau. Celle-ci jaillie avec force par les interstices et forme une sorte de bain moussant blanchâtre et nauséabond. Du regard avec un peu de nostalgie je m’éloigne de ce lieu pittoresque et vivant à la fois.

Je traverse le pont qui surplombe ce magnifique panorama. Je remonte, non sans me retourner, la rue pavée. Je fais attention à ma démarche car des siècles sont sous mes pieds. Le dosseret naturel de l’infrastructure en a pris un coup au fil des années. Miaou ! s’écrie un chat tout aussi surpris que moi de sa rencontre et filant à toute vitesse dans une entrée.

Plutôt une impasse: postes, télégraphes, téléphones. Ce bâtiment façonné de briquettes est une œuvre d’art. De tout cela il ne reste de nos jours que peu de choses. A deux pas une grande vitrine entourée de briques rouge vif. Le volet est baissé, je ne pourrais vous dire « Un chien regarde bien une andouille dans une boucherie pourquoi pas moi !»

A ma droite une rue de traverse, parallèle au canal, un chien marque son territoire de-ci de- là en balançant sa queue. Heureusement que c’est lui, parce que celle-ci aurait eu du mal à le faire. Chemin faisant, j’admire les pierres ancestrales qui surplombent des lampadaires d’un autre temps. Ceci avec un halot de lumière qui les entoure, leur donnent un certain cachet (faisant foi, aurait on dit plus bas pour la route et plus haut pour le bouquin).

A ma gauche s’ébranle un grand édifice dont le bruit émis, me fait sursauter (Ah bon dieu, ils ne peuvent pas mettre un feu rouge pour indiquer la mise en route des grosses boites de conserve qui se balancent). Bandes de cloches, convoquez-moi le sacristain sur le champ, sapristi ! Ou j’appelle la garde et fais sonner le toxin. Il m’a brisé les tympans, ce pantin. Bon allez ! Je suis bon Prince, je fais une croix dessus.

En un éclair mon odorat me mène à la baguette. L’odeur de grosses miches bien chaudes me ravive la ficelle. Le boulanger, dans le pétrin qui souffre d’une couronne après avoir joué la moitié de la nuit au bridge, est au boulot. Sa femme que l’on aurait prise pour une religieuse, au bout lange l’air distrait le dernier bout de chou en regardant les horaires du Paris Brest. Avant que cela ne devienne un four, je ne vais pas en faire un mille feuilles. Je feins ces aromes.

Je me tourne vers la place et là surprise, je vois un écureuil en lieu et place. Je me suis dit que l’on aurait du clôturer plus sérieusement la forêt domaniale. A coté d’une porte cochère (ils ne font pas cacher, excusez les, ce sera pour une autre fois) au milieu du mur se dressent à l’horizontale deux plaques en bronze en forme de demi ballon de rugby. Elles signifient Notaire (non pas not hair, car I love cette comédie musicale), c’est clair.

Dans mon dos, car je n’étais pas encore retourné une belle bâtisse. Sur le toit, je lis 1887(je n’ai pas la mémoire des chiffres et des lettres, d’Armand chameau) sur les tuiles lisses de coloris différents. Vis-à-vis un huit à huit, non un cinq à sept, non un super hu enfin une histoire de colle quoi. Un commerce où l’on trouve de tout, même des préserves à cheveux. Je veux mon neveu, ce n’est pas de moi mais cela fait du bien de l’écrire en son souvenir.

Arrivé à l’adresse indiquée, je sonne avec une certaine appréhension. La maitresse des lieux tardent à venir m’ouvrir la porte. Je suis accueilli par un sourire qui en dit long sans vouloir le dire. Je suis, bien que détendu par ce joli minois, sur mes gardes. Formules de politesse, accolade, civilité et j’en passe et des meilleurs. Mon hôte m’invite à m’assoir, me presse d’une boisson rafraichissante et bla bla bla ! C’est alors que naturellement, mon regard fut happé par son intérieur.

A l’ombre d’un clocher, je ne savais que penser. J’étais cent ans en arrière et en même temps dans une autre ère. J’avais du mal à réaliser où je m’immisçais. Présent, imparfait ou passé, j’étais béat et ne pouvais plus conjuguer.

Conjuguer le temps au présent pour un futur sans doute conditionnel dans un laps imparfait ou subjonctif

Présent ou passé
est ce bien défini
ce définitif

Laissez là venir
cet avenir
incertain mais à venir

Je découvre alors, sous des poutres encastrées, une réalité castrée. La Marquise de Pompadour, bien qu’au milieu d’un mur, souffre du contre jour. Je me vois dans un musée, tout y est si ordonné. Quand à la valeur des choses, je tairais mot. En ce lieu, le respect s’impose, partout où mes regards se posent. Il n’est pas une ombre, une semi pénombre qui ne vous plonge ailleurs.

C’est un réel bonheur !

Dans cet acoustique, aucune présence de caustiques, tout y est vrai et même l’ivraie. Je ressens, sans toucher, des bois, leur essence. Elles sont toutes de bonnes naissances ; le marronnier, le chêne, le merisier, le frêne ou l’acajou. Vous percevez le fil de ces bois, vous l’imaginez sous vos doigts ! La marqueterie n’a rien à devoir, sa finition, son intention vous embue les yeux.

Ce n’est pas une ambiance « rétro »
Non, il n’y a rien de trop !
Vous vous retournez, vous êtes subjugué dans cet autre monde. A la ronde ! Une seconde, imaginez !
Non je préfère m’en inspirer, Vous faire voyager tel un passager à bord de l’Orient Express.
Je ne presse sans pour cela le pas, tout à ma cadence.
Mon dieu, s’il en est un, quelle chance ! Vous faire découvrir cet endroit, est mon plus grand plaisir.
Au travers les croisées des fenêtres, je me remémore des instants de ma jeunesse passés dans des grandes demeures, des abbayes et des visites de châteaux de la Loire.

Là, où j’écris devant moi, un dictionnaire !
Une mémoire intergénérationnelle !
Sa reliure est sans augure d’une patine d’origine. Je n’ose l’ouvrir, car je ne veux le voir s’offrir à des mains innocentes ou à des manœuvres indécentes. Sur sa tranche, en lettres d’or, se lit l’intitulé et le respect se doit. Sa manufacture a subi quelques fractures. La reliure faite de ficelles croisées entre elles est toujours aussi pure. Les pages de garde ne sont qu’une avant garde de l’œuvre. Elles portent des traces de moisissure, ce qui leur donne une vraie nature. L’odeur d’humidité séchée prouve son identité. Ces feuilles compressées ne sont en aucune part déchirées. Maintes fois feuilleté, l’ouvrage a su gardé sa fierté.

A l’ombre de ce clocher, je réentends presque les cris des cochers, le sifflement des bandages des roues sur les pavés. Le claquement des fouets au-dessus des chapeaux claques faisant hennir les attelages et étinceler le sol de leurs fers.

Depuis mon arrivée, du temps s’est écoulé. Les jeux de lumière naturelle, semi nocturne, me rappellent les chandelles. Je ne vous réécris point l’affaire St Fiacre, en vous décrivant ces fiacres.

Après un souper aux chandelles, on ne plus copieux, il ne restait plus qu’à aller au pieu. Le lit baldaquin -pas le bal du coin, j’étais trop crevé pour aller danser d’ailleurs- avec des draps de soie (je n’avais pas pris les miens) ouverts me convaincu de rester là pour la nuit. Sur, que je n’aurais pas fini comme le duc de Guise. J’avoue que depuis le début du repas, l’hippocampe me serrait beaucoup dans le pantalon. Je ne pouvais faire le coup du briquet dans la poche, ma copine savait que je ne fumais plus et que là c’est elle qui allait fumer.

Allongés l’un contre l’autre dans de la soie, il y va de soi que nos corps en émoi ne pouvaient que reprendre Dutronc « Et moi, hé moi ! Hé moha !! »- et puis elle- bien sur. Du tronc, de la tête aux pieds, nous nous explorâmes mutuellement. Au clair de lune -je ne saurais vous dire laquelle ?- nous avons révisé notre anatomie de A à Z et plus si infinité. Non comptant du corps humain, nous sommes passés aux mathématiques. Deux fois vingt deux égale quarante quatre, un et un onze, quarante huit par deux égale quatre vingt seize. Puis l’histoire, quelle année suivie soixante huit ? Quant à la géographie, nous n’avons parcouru que quelques départements ! Le haut Rhin, le bas Rhin, l’Aine, la creuse et j’en passe sous la manche car elle n’était pas gironde avant que ne vienne vous couper le souffle. En entre met, je pris un plateau de fruit de mer et ma copine préféra- moi aussi d’ailleurs- une forêt noire garnie d’une sorte de long champignon et de deux belles truffes. Après des prémices, on ne peut plus onctueux, le coït assouvit- non pas, le coyote a suivi- l’orgasme feint-The End- nous déposâmes sur nos corps en transe des caresses et mille baisers inondées de tendresse.

Nos esprits repus ne demandèrent que l’arrêt de la classe. Nous avions atteint le Nirvana- personnellement, je n’y suis jamais allé- c’est ce que l’on dit lorsque l’on a pris son pied. Nous, nous préférons la main- franchement après un tel festin charnel, pourquoi se gâcher le palais avec du frometon- c’est beaucoup plus tendre. La tendresse pourvue de sagesse n’a pas de limite dans la soie, la dentelle dans un climat charnel.

Invité à passer la nuit dans cette demeure, je ne pus fermer l’œil, car j’étais épris de cette atmosphère- pas que de cela d’ailleurs- mon esprit fusionnait avec ces merveilles.
De bon matin, je vais et je viens sur ma feuille pour capter cette émotion. Dans mes ouïes raisonnent les enclumes, les cloches viennent de teinter six fois. Je sens le lever du jour proche, je ne réalise toujours pas où je suis. J’écris, mais en aucun cas je ne m’ennuie. Auprès de ce parvis, je ne refoule pas la réalité, la ville est encore alitée.

En aucun cas, je ne rêve
J’ai simplement trouvé une trêve
L’endroit où je suis
L’encre que le buvard essuie
Font que pour un moment
J’ai pu oublier mes tourments
Je devine le canal et son écluse
Et mon écrit, de l’encre, écluse !

Mon inspiration m’emporte dans cet antre où je suis une pièce maitresse. Rien de tout ceci n’est obsolète, tout mérite d’être. Je me réjouis que ma mémoire n’a pas enfouies certaines liaisons et je me satisfais de ma moisson.
Ne croyez pas que je me gosse !
Je ne suis plus un gosse, mais j’ai gardé l’âme d’un enfant. Je vous dépeins cet univers que je croyais à cent lieues d’ici. Je n’en ai pas fini de cet univers indéfini entre le secrétaire et le bureau. Je voudrais en dire plus mais je crains le hiatus. Je ne veux vous dévoiler plus, car de cet endroit je suis seul à convoiter. Je vois quelques chinoiseries, des assiettes antiques d’autres continents. Des pichets, des plats d’un autre teint et des étains sont accrochés au dessus d’un bahut. Guéridon, bibelots, poupées et autres lots harmonisent les pièces.

A l’ombre de ce clocher, des pages, je vous en ai cachées
par respect et décence. Je ne vois pas dans l’obscurité !
Simplement séquestrée. Oui par cette richesse, sommes toute, remplie de tendresse. Valeurs sentimentales, beautés, oh ! Combien intimes, que la garde de cet héritage familial. Je vous ai fait les ébauches d’un monde, d’un milieu qui m’a remplit les yeux. Ce n’est pas celui de mes aïeuls, il ne manque que le parfum du lilas. Je me revois sur les genoux de mon grand père tirant sur sa bruyère ou son brule gueule. Etait ce hier !

Ah ! Oui ce fameux dictionnaire avait plus de huit cent pages et sa science restera héréditaire. Sa calligraphie et ses gravures étaient d’une singularité époustouflante.
Ses pages à peine cornées continueront à orner ma mémoire. Ce grimoire peut paraître, pour certains, anodin. Il fut pour moi une grande révélation et aussi le début d’une relation.

Stéphane Prince

Clos chez !

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